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écrivain belge - Page 4

  • Seuil

    Toussaint Monet Minuit (rogné).jpg« Tous les matins,
    lorsqu’il entre dans l’atelier,
    Monet prend congé du monde.
    Il passe le seuil, et, devant lui,
    de l’autre côté de la porte,
    encore invisible, immatériel,
    c’est l’art qui l’attend. »

    Jean-Philippe Toussaint,
    L’instant précis où Monet entre dans l’atelier

    Couverture rognée et mise en page du texte T&P

  • L'instant précis

    C’est un tout petit livre des éditions de Minuit, trente pages à peine : L’instant précis où Monet entre dans l’atelier. Jean-Philippe Toussaint veut saisir Monet « là, à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier dans le jour naissant encore gris. » Le titre du texte en est le leitmotiv. 

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    Monet dans l'Atelier des Nymphéas (source : Fondation Monet)

    « C’est le moment du jour que je préfère, c’est l’heure bénie où l’œuvre nous attend. » Eté 1916. « Depuis quelques mois, Monet a pris possession du grand atelier qu’il s’est fait construire en haut de son jardin pour pouvoir travailler sur les vastes formats des panneaux des Nymphéas. »

    Ma première visite à l’Orangerie pour voir les salles des Nymphéas reste une de mes plus grandes émotions esthétiques à ce jour, la plus grande en peinture, peut-être. J’avais dix-sept ans. J’ai appris alors l’histoire de ces grands panneaux, chef-d’œuvre du peintre, histoire qu’on retrouve en filigrane du texte de Jean-Philippe Toussaint, axé sur les perceptions et sur la création artistique.

    « Ce que Proust avait fait avec des mots, en transformant ses sensations et son observation du monde en un corpus immatériel de caractères d’imprimerie, Monet le fera avec des couleurs et des pinceaux. » Monet se met à travailler aux grands formats des Nymphéas pendant la guerre de 1914-1918. Le lendemain de l’armistice, il écrit à son ami Clemenceau pour offrir « deux panneaux décoratifs » à l’Etat par son intermédiaire. On sait ce qu’il en adviendra.

    Les nymphéas du jardin de Monet et ses Nymphéas sont régulièrement mis à l’honneur sur Giverny News, où Ariane, guide à Giverny, partage ses photos et ses chroniques. Si vous ne connaissez pas son blog, voici les liens vers des billets qu’elle a consacrés à l’amitié entre le peintre et Clemenceau, aux Nymphéas de l’Orangerie, à l’atelier.

    En guise de remerciement, Toussaint précise ceci : « C’est mon ami Ange Leccia qui m’a donné l’envie d’écrire sur Monet. » Le musée de l’Orangerie présente jusqu’au 5 septembre son œuvre (D’) Après Monet. Ange Leccia a conçu pour le musée un arrangement vidéo « qui propose de sentir et de lire la polysémie des Nymphéas de Monet à partir de l’histoire de la genèse de cette œuvre magistrale. » (Site de l’Orangerie)

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    Deux captures d’écran de la vidéo d’Ange Leccia, « (D’) Après Monet » (2020), exposée au Musée de l’Orangerie.
    ANGE LECCIA, PARIS, ADAGP, 2022 (Source : Le Monde)

    Sollicité par le musée, raconte Roxana Azimi dans Le Monde, « le vidéaste s’est immergé dans la bulle de verdure de Giverny à la nuit tombée et aux petites heures du jour. » (Le Monde, 4/3/2022) Et c’est ainsi que L’instant précis où Monet entre dans l’atelier de Jean-Philippe Toussaint emmène notre imagination en balade, de Giverny à Paris. « A peine trente pages, qui nous racontent ce qu’on savait déjà et nous montrent ce qu’on avait déjà vu, mais donnent l’illusion d’une révélation. Comme un supplément de grâce. » (Jérôme Garcin, L’Obs, 10 mars 2022)

  • Patience

    Meganck editionsfdeville-le-jour-ou-mon-pere-na-plus-eu-le-dernier-mot.jpg« Je ne lui connaissais pas cette patience. A dire vrai, je ne connais pas grand-chose de Kasper Braecke, si ce n’est sa passion pour les courses cyclistes et les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, si ce n’est son racisme, son goût de l’Allemagne, et plus récemment celui des îles subarctiques et des voyages immobiles.
    Il continue :
    – Loti se retournerait sans doute dans sa tombe. Mais bon, je crois que j’approche une certaine idée d’un vieux morutier. Je dois encore achever les peintures…
    Il pose la maquette sur la table. On trinque. Je cogne mon verre contre le sien, un peu de vin rouge tombe sur la maquette. Le pont est maculé d’une petite mare couleur sang qui se met à couler vers la cabine.
    – Désolé.
    – Ce n’est rien, William. Le voilà baptisé ! »

    Marc Meganck, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot

  • Un père détestable

    Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot, de l’écrivain bruxellois Marc Meganck, est un roman de la détestation. A quarante ans passés, William, le narrateur, y règle ses comptes avec sa famille : Kasper Braecke, un père raciste et nostalgique du nazisme, qui travaille aux espaces verts de sa commune ; Claudine Mertens, une mère qui entretient les peurs et, par crainte du chagrin, écrase les araignées du matin ; Didier, un frère aîné en tous points conforme à l’attente des parents et qui méprise son cadet.

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    Franz Gailliard (1861-1932), Marine (Ostende)

    La première partie, « Les peurs », est un tableau sans concession d’une enfance solitaire parmi les Braecke-Mertens, en banlieue bruxelloise. La tentative de suicide au gaz de la grand-mère, que le grand-père infidèle a sauvée au dernier moment, la laissant quasi sans voix et le souffle court, a peut-être contribué au climat pesant dans lequel William a grandi. Son meilleur ami mort dans un accident, il quitte les scouts, pratique le vélo ou la marche en solitaire. Un jour, il suit son père dans les bois, curieux de voir où il s’évade de plus en plus souvent, et le retrouve chez Frankie, plus qu’une amie pour Kasper. Celle-ci lui lui a rendu le goût de la lecture en lui offrant Pêcheur d’Islande.

    A 42 ans, William souffre de « tachycardie existentielle ». Son bilan ne le réjouit pas : sa liaison avec Anaïs, leurs échappées en city-trips, sont du passé. L’odeur des dimanches « poulet-frites-compote » chez ses parents lui est devenue insupportable, mais pas à son frère Didier,  le fils préféré, qui leur rend visite avec sa femme et ses fils. Après la mort de leur mère, Kasper reste dans l’appartement d’Ostende, près du port, où Claudine et lui s’étaient installés après avoir vendu la maison.

    Plongé à son tour dans le roman de Pierre Loti, le narrateur oscille entre ses souvenirs douloureux et un projet fou. Son père n’a jamais dévié de la ligne agressive à son égard, quand William a choisi des études d’archéologie, quand il a publié un premier roman où il a « sali » leur nom de famille… L’alcool, les bars, les errances nocturnes dans Bruxelles sont devenues son « voyage immobile », sa santé chancelle. Mais il s’est mis en tête de faire un voyage en bateau jusqu’en Islande avec son père détestable, dans l’espoir d’avoir enfin une vraie conversation avec lui et des réponses aux questions qu’il se pose depuis l’enfance – est-il son vrai père ?

    Malgré l’hostilité du grand frère, devant son entêtement, Kasper, septante-huit ans, finit par accepter. Ils iront en Islande au printemps, père et fils, sur les pas de Loti, d’île en île de l’Atlantique nord. Sera-ce enfin l’occasion de se rapprocher un peu ? Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot : le titre en dit long sur cette haine familiale. Marc Meganck la raconte avec réalisme et puissance dans l’expression des sentiments. La dérive personnelle de William en manque d’affection et en quête de vérité est rendue avec tant de force qu’on veut absolument savoir où elle le mènera, même si son pari est risqué.

    Marc Meganck publie régulièrement depuis les années 2000 (histoire et archéologie, essais, récits, nouvelles, polars, romans). Il a beaucoup écrit sur Bruxelles et cite ceci en premier dans ses thèmes de prédilection : « la déambulation urbaine, le voyage, le microcosme des bistrots de quartier où j’écris, où j’observe notre humanité ». Je vous recommande ce texte daté du mois dernier sur son site : « C’est beau, une ville en paix ».

    Le Carnet et Les Instants reprend les mots de Bénédicte de Loriol après sa lecture de ce roman-ci : « On espère juste qu’il ne soit pas autobiographique… Mais on est en droit d’en douter tellement il est sincèrement bouleversant ». Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot m’a emportée dans les méandres d’une histoire de famille et dans un voyage qui secoue. Un envoi des éditions Deville.

    ***

    Pour info, ce jeudi soir, Arte commence
    la diffusion d’En thérapie 2
    (déjà disponible sur le site d’Arte TV).

     

  • Un signe pour toi

    Il est pour toi, ce signe, afin qu’il te réjouisse comme la trouvaille d’une pépite d’or.

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    Range-le si tu veux avec le flacon vide et la truelle ébréchée, mais tu le retrouveras par quelque jour de dénuement.

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    Il est chaleur et lumière et s’efforce de toucher en toi ce sourire perdu qui est plus profond que toi-même.

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    Il semble maintenant très lointain, mais voici que tout proche, il vient éveiller ce qui depuis toujours cherche un éveil. […]

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    J’ai reçu tous mes signes, mais je reviens encore caresser ces visages et ne puis me lasser d’adorer leur contour.

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    J’ai recueilli le sourire de l’ange et cet ange en retour attendait nos sourires.

    Printemps (6).jpg

    A toi, je parle ici d’une voix malhabile.
    Puisse mon signe pour toi se faire aussi léger que la fleur du pommier.

    Afin qu’un jour tu le cueilles ardent et coloré comme la pomme de septembre.

    Printemps (7).jpg

    Trouverais-je un signe pour toi qui as fermé tant de livres sans y découvrir de secours ?

    Saurai-je envoyer dans ta nuit cette petite lueur clignotante ?

    Saurai-je mettre dans ton pain cette poignée de ciel affirmative ? […]

     

    Géo Norge, Un signe pour toi (Œuvres poétiques, Le vin profond, Pour le hautbois)

    Début du printemps 2022